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Extrait : La Femme Truite

3 décembre 2009

La femme truite

Il avait ce soir-là encore quitté le dîner au moment du fromage, avec la bénédiction bienveillante de sa femme qui comprenait depuis toutes ces années que l’on ne décide pas de l’heure du coup du soir. Il enfila ses waders, mis son gilet dont il avait contrôlé le contenu dans l’après-midi et prit sa Loomis 8’6 à laquelle il avait redonné un bas de ligne plus court, spécial coup du soir, juste avant de passer à table.
Il se hâtait maintenant vers la rivière dont la musique très particulière à cette heure où la nature se prépare à la nuit l’attirait comme un aimant. Comme chaque soir où il abandonnait les siens pour s’en aller retrouver les truites (sans savoir si elles voudraient de lui) il sentit un sentiment de culpabilité l’envahir. La vie l’avait encore obligé à choisir. Et il ne pouvait pas ne pas se dire qu’il venait de sacrifier la femme et les enfants qu’il aimait sur l’autel de cette étrange passion.
D’autres auraient pensé, fort justement, que chacun avait sa place et que l’idée même de mettre sur le même plan l’amour d’une famille et l’inclinaison que l’on pouvait avoir pour telle ou telle activité était invraisemblable. Lui se disait en réponse à cela que les  minutes  qui composent votre vie sont également concurrentes quels que soient les choix que nous faisons pour les meubler. Ce n’est  pas nous qui sommes responsables de ces conflits d’intérêt. C’est la grande horloge qui rappelle sans cesse à chacun qu’il lui faut choisir entre les grains qu’il fait couler au travers du sablier de sa vie.
Il repensa à cette discussion un soir de bivouac lointain, au bord de la baie d’Ungava, dans le Grand Nord Quebec, où avec deux compagnons, ils se demandaient ce qu’ils feraient si on les condamnait à choisir, sur une île déserte entre la compagnie d’une femme,  celle  d’une canne à pêche ou celle d’ une cave à  vin. Ses compagnons étaient détendus et suffisamment insouciants pour s’égarer dans ce genre de débat stupide. Il aurait du partager cette légèreté. La pêche avait été excellente : le tributaire qui reliait les deux lacs, où les avaient déposés l’hydravion, leur avait apporté quelques belles émotions avec des truites, entre un et cinq kilos, et des ombles arctiques plus légers mais très explosifs  et sublimement beaux dans leur robe nuptiale. Bref Il aurait du être  heureux et tranquille comme on peut l’être un soir où la pêche a été bonne. Au lieu de quoi il était tendu et inquiet parce que la jeune femme qu’il avait imprudemment emmenée dans cette expédition monomaniaque (que fait-on quand on a fini de pêcher ? Réponse : on parle de pêche), était partie seule dans la nuit se promener dans cet immense toundra qu’il savait fréquentée par des ours bruns et des loups.
Et son ennui était une réponse à la question de l’île déserte. Il était ennuyé parce qu’il n’avait pas su, ni voulu choisir. Il avait pris la femme et la pêche, et constatait avec amertume que la femme vivait très mal cette situation d’avoir à n’être qu’une option dans le catalogue des plaisirs de ce sale macho qui la mettait sur le même plan qu’une paire de truites. Elle avait suivi son amoureux jusqu’au Pôle Nord, dans une expédition de pêche sans se poser la question de savoir si elle resterait bien là-bas, au pays des caribous, des ours et des poissons, sur la première marche du podium des passions de son compagnon.
Et lui vivait très mal son incapacité à exprimer un choix clair. Pour ses deux compagnons pêcheurs, il n’y avait pas à réfléchir longtemps : sur l’ île déserte, ils choisissaient la canne à pêche. Leur parti le choquait mais il avait conscience que son indécision ne valait guère  mieux et que la jeune femme soit folle de rage d’être ainsi mise sur le même plan que ces bestioles à sang froid, qu’elle pouvait parfois apprécier, mais avec du citron seulement comme ,le chantait Bobby Lapointe.
Il leur avait dit qu’il trouvait le dilemme plutôt surréaliste. Il n’hésiterait pas, lui, une seconde. Ce serait la femme. Comment  osaient-ils mettre tout cela sur le même plan ? Mais son ton manquait de conviction.
Les autres avaient ricané, le traitant de faux cul. Bien sûr, qu’il y avait débat. Enfin, pas un long débat, l’affaire étant vite entendue :  pour eux c’était la canne à pêche, et accessoirement la cave à vin.

Il se surprit à manquer d’argument. C’était une situation étrange. Sa conscience était sûre d’elle, mais il y avait quelque chose d’autre, peut-être le fameux « sur moi » qui disait :
« allons, allons, ce n’est pas si simple, la pêche aussi c’est ta vie. Tu te vois sur une île sans canne à pêche… »
Et il repensa à ce qu’avaient été les années qu’il venait de traverser : un grand slalom entre son boulot, les femmes, les enfants, les potes, la pêche, un coup su soir permanent ; courir, courir vers, il ne savait plus quelle rivière, se hâter toujours pour que tout le monde ait sa part en pensant que personne n’y trouvait son compte.
Il entra dans l’eau avec prudence, juste à l’orée du petit bois de la Sauçotte  Les premiers spents, dépouilles résignées d’amours éphémères, tournaient dans la retourne. C’est là qu’il fallait être, à la limite du tuf, quand le fragile calcaire dessine une falaise irrégulière autour du grand trou. A 15 mètres un poisson était déjà installé qui ramassait les mouches mortes à la sortie d’un minuscule courant. Il tenta sa chance avec une ecdyonuridae au corps lie de vin cerclé de noir, dont le hackle très léger gris presque noir se fondait dans la pellicule de surface. Il ferra à l’instinct, ne sachant si le minuscule gobage était pour lui. La réponse courbait sa canne et tirait bien fort sur la soie. Le coup du soir commençait bien. Il ne pensa plus qu’à la pêche. Aux autres truites qui s’installaient maintenant tout autour de lui et que la capture et la remise à l’eau de leur congénère, n’avaient pas dissuadé de prendre place de part et d’autres de la barrière de tuf. Les premiers trichoptères pagayaient maintenant vers la rive, souvent rattrapés par le gobage ultra violent des zébrées qui les prenaient en force. En quelques instants un brouillard d’insectes envahit le ciel au dessus de sa tête. Il s’appliqua à faire voler sa mouche artificielle en compagnie des autres et surtout à la poser où il voyait des truites attablées .
Il était concentré sur sa pêche et eut seulement le temps de penser, lorsque le tuf céda sous sa botte, au sort que lui avait jeté quelques années plus tard une vieille main auquel il reprochait de pêcher comme un poissonnier : « je vous souhaite de perdre un jour l’équilibre sur les galets glissants d’une rivière et d’être emporté dans ses entrailles. »
Et bien, ce jour était arrivé. Il n’avait pas glissé. C’était la rivière qui avait cédé sous ses pas. Mais le résultat était le même. Et il perdit connaissance.

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Le Cri de la Femme Truite

3 décembre 2009

Ils lui ont dit :
« et pourquoi ce ne serait pas la truite qui parle ? »
« et pourquoi pas la femme ? »
« non, la truite c’est mieux, dans le livre, la truite parle plus que la femme. »
« ouais pourquoi pas … Il faut trouver le ton. »
« pourquoi le thon, ça va tout compliquer. Et d’ailleurs on en trouvera pas, il y en a presque plus. »
« parce que des truites tu crois qu’il y en a ? »
« enfin il y en a plus que des thons, on en a même une sous la main, et même plusieurs, 240 pages de truites qui parlent, elles n’ont qu’à poursuivre sur le blog leurs conversations du livre. »
« ouais faut voir… »
Et c’est comme ça que je me suis retrouvée devant le clavier.
Bienvenue donc sur le blog de « la femme truite »  (on le dit comme ça pour la promo du bouquin, même si c’est la truite qui parle et non la femme).
Bon si j’ai bien compris ici c’est comme une grosse frayère qui durerait toute l’année . Moi ça me convient, du moment qu’il y a du chabot et quelques vairons, la reproduction c’est la survie du poisson.
La première, je vous la fais courte : un extrait et deux ou trois liens avec des gens que j’aime bien.

A plus
(repro aquarelle)