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Le pape est mort

28 janvier 2010

Faire des miracles est vraiment donné à tout le monde. Je le sais depuis le jour où j’en ai produit un moi même en toute innocence. C’était le 25 septembre 1978 à Goumois, peu temps après mon retour de Rome où j’avais enterré le pape Paul VI  et installé son successeur le bon cardinal Lucciani  sur le trône de Saint-Pierre.  Cette précision s’impose dans la mesure où c’est à la suite de ce pieux reportage que je me suis auto investi d’un pseudo message divin intimant aux truites du Doubs l’ordre de se remettre à gober illico presto. (…)

je décidai, pris d’une inspiration soudaine, en même temps que poussé par l’ inédite ferveur de ces nouveaux fidèles de remplacer l’habituelle sieste par une petite virée au bord du Doubs. Le temps de monter dans ma chambre pour y prendre la fameuse bouteille ( une demie evian vide discrètement subtilisée sur une table et remplie au robinet de mon lavabo) et nous voilà partis en procession vers  le pré Bourassin. La rivière était calme. Tout le monde, ou presque, paressait au rythme de l’été . Deux ou trois ombres, quelques blâgeons et un banc de vairons se doraient au soleil profitant de l’oisiveté tranquille de quelques truites qui avaient pris en dormant la couleur des graviers.

Toujours suivi de ma troupe d’apôtres halieutiques vaguement éméchés je m’en allais vider le contenu de ma bouteille en tête du premier des radiers qui commandent l’entrée du pré. Puis après un retour prudent par la route,

J’approchai de la rive avec précaution (il est déconseillé de se baigner après un repas arrosé)  et appréhension ( je croyais autant à ce miracle là qu’aux autres, c’est à dire pas du tout) . Il me sembla alors entendre, venus d’un des enrochements disposés par les bénévoles –laïcs- de la Franco Suisse, une vague mélopée qui me fit penser à des chant grégoriens. En remontant vers la retourne qui borde les premiers mètres du pré le plus connu des moucheurs suisses, belges, et français, je constatai que la musique se faisait plus précise et plus forte. Il s’agissait bien de chants grégoriens. Intrigué, je m’approchais et les vis soudans, pieusement alignées dans le sens de la retourne, la gueule orientée comme il faut, qui s’ouvrait au rythme de la partition.

Je fouettais mécaniquement sans penser à la religion et posais ma mouche avec fracas  sur le nez des fidèles. Comme si j’avais voulu dissiper cet invraisemblable mirage  sans doute provoqué par les dérapages que la mirabelle faisait subir à mon imagination. Derrière moi le  murmure désapprobateur que méritait bien mon poser hasardeux n’eut guère le temps de s’installer : les truites se moquaient pas mal de ma maladresse. Un premier poisson se dirigea vers ma peute et la saisit délicatement comme on le fait d’une hostie.

« amen ».

Je ferrai avec le maximum d’onction dont je me sentis capable.

La truite radieuse ne se fit pas prier pour venir dans ma main. Bientôt suivie d’une autre qui voulut aussi profiter de l’eau bénie par le successeur de  Saint-Pierre .

-« Putain ça marche »

Les autres pêcheurs qui étaient restés en retrait, une place qui sied aux témoins de miracles, s’approchaient maintenant pour toucher de la main l’invraisemblable résultat de la bénédiction pontificale.

-« Non de Dieu, elles continuent à gober »

Je foudroyais du regard le blasphémateur et tendis ma canne à Yoyo Visantin

-« Le seigneur soit avec toi… »

-« … Et avec ma fourmi »

répondit yoyo qui ne perdait jamais le sens de la répartie.

Sa mouche fut gobée instantanément comme celles des autres pêcheurs qui se partageaient maintenant les rives sacrées du pré Bourassin. J’allais pieusement de l’un à l’autre, distribuant forces signes de croix aux poissons qui atterrissaient sur l’herbe tendre et attendaient de recevoir la sainte onction avant d’être rendus au Doubs.

Le bruit courut assez vite que le nouveau pape avait envoyé une manière d’indulgence aux riverains de Goumois, de préférence à ceux de la rive française puisque la suisse relève de la paroisse à Calvin.

Et le téléphone commença de sonner : « pouvez faire quelque chose pour le Dessoubre, le Cuzancin, l’Ain, la Saine, la Bienne, le Tacon ,  la Furieuse, «    et même la Loue qui en ce mois de canicule avaient aussi mis leurs poissons aux abonnés absents.

Un commentaire

  1. « Le monde de Lalu, c’est le Pays des merveilles. L’espace et le temps sont chamboulés, le coup du soir vaut pour une éternité. Les truites sont douées de parole, les femmes se métamorphosent en truites et elles continuent de parler bien entendu. »



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